Image: Sean Scully
Landline Rising Blue, 2018, Oil on aluminium, 300 x 190 cm (118,11 x 74,8 in) Courtesy of Thaddaeus Ropac
Featured in Série Limitée Les Echos

Sean Scully la sensualité de la couleur

23 June 2021
Paris Marais

Text by Judith Housez

La galerie parisienne Thaddaeus Ropac consacre une exposition muséale à l'artiste d'origine irlandaise installé à Aix-en-Provence. «Entre Ciel et Terre» présente des oeuvres de la grande maturité peintes à l'huile sur aluminium ou cuivre entre 2018 et 2021. Elles nous rappellent que celui qui affirmait en 2005 «essayer de sauver l'abstraction» y est parvenu.

Avec Landline Rising Blue, qui fait face à l'entrée de la galerie, attendez-vous à un choc. Un choc de bleu et de lumières. Un flot d'émotions et de sentiments renouvelés. Cette huile monumentale sur aluminium (300 x 190 cm), composée de bandes de différents bleus, est une oeuvre abstraite mais, telle une boîte de Pandore, ses tons sollicitent notre mémoire sensorielle d'innombrables paysages, d'innombrables «moments de bleus » qu'elle rappelle à notre esprit. «Mon rapport avec le ciel est extrêmement important pour mon travail. Beaucoup de couleurs dans mes peintures viennent de là», précise Sean Scully. Chacun de ses tableaux est un point de rencontre entre le vécu de l'artiste et celui qui le regarde. Systématiquement composés de rectangles de couleurs, dans une répétition jamais démentie, ils sont métaphoriques, spirituels, référentiels et toujours poétiques, car ils sont porteurs d'une charge émotionnelle exceptionnelle.

Chez Scully, d'un ordre géométrique naît «a drama», comme il dit. Pour ce catholique irlandais, émigré à Londres puis à New York, lecteur de James Joyce et ami de Samuel Beckett, la géométrie systématique sert en effet à dire les passions. Sa rupture avec les minimalistes américains, pour lesquels l'expression, les sentiments, la référence au passé étaient à bannir, vient de là. Elle eut lieu au tout début des années 1980. Il le proclame : c'est une «géométrie de la saturation» qui l'intéresse. Faire tout dire à une couleur, solliciter chez celui qui contemple la peinture une puissance infinie d'évocations parce que justement nous sommes dans l'abstraction, qu'il n'y a pas de sujet représenté. Sean Scully est un artiste multiple, peintre, sculpteur, érudit, professeur, essayiste à la réflexion théorique parfaitement établie. Ses œuvres sont présentes dans les grands musées du monde entier. Il est également un passeur. Il mène un travail inlassable, essentiel sur les maîtres anciens, et a ébauché comme une autre histoire de l'art : par la matérialité de la peinture, par la touche et les lignages chromatiques.

On retrouvera dans cette magnifique exposition à Paris comme autant d'amers, des lumières et des tons du Cézanne de la Sainte-Victoire, la palette chaire de l'Innocent X de Velazquez, quelques bleus crépusculaires de Caspar David Friedrich. La sensualité de la couleur est le grand sujet de cet accrochage : ductile, charnelle, démultipliée par les sous-couches qui affleurent, par les lacunes. Les supports en aluminium ou en cuivre offrent une présence particulière aux variations de lumière, aux nuances de chaque ton, créant l'effet de blocs de couleur assemblés. Nous percevons comme un répertoire illimité les patchworks de couleurs de Scully (la référence au tissage, à la couture, est très présente dans les propos d'un artiste qui n'a jamais séparé art formaliste et art à vocation plus décorative). «Les couleurs dialoguent entre elles», dit le peintre. Tel le Titien tardif qui laissait transparaître sa touche, le plaisir physique du geste est flagrant. Face aux tableaux présentés chez Thaddaeus Ropac afin de célébrer son entrée à la galerie et son installation à Aix-en-Provence, on peut penser que Sean Scully laisse place au bonheur de peindre, puisque, grâce à lui, la réconciliation appelée de ses voeux entre la géométrie et les émotions a bien eu lieu.

 

 

English translation: 

The Parisian gallery Thaddaeus Ropac is dedicating an exhibition to the Irish-born artist based in Aix-en-Provence. Between Heaven and Earth presents works of great maturity painted in oil on aluminum or copper between 2018 and 2021. They remind us that Sean Scully, who claimed in 2005 that he was "trying to save abstraction", has succeeded.

With Landline Rising Blue, which faces the gallery entrance, expect a shock. A shock of blue and light. A flood of emotions and renewed feelings. This monumental oil on aluminum (300 x 190 cm), composed of bands of different blues, is an abstract work but, like a Pandora's box, its tones solicit our sensory memory of countless landscapes, countless "blue moments" that it recalls to our mind. "My relationship with the sky is extremely important to my work. Many of the colours in my paintings come from there," says Sean Scully. Each of his paintings is a meeting point between the artist's experience and the viewer. Systematically composed of rectangles of colour, in a repetition never denied, they are metaphorical, spiritual, referential and always poetic, because they carry an exceptional emotional charge.

In Scully's work, a geometrical order gives birth to "a drama", as he says. For this Irish Catholic, emigrated to London and then to New York, reader of James Joyce and friend of Samuel Beckett, systematic geometry is indeed used to express passions. His break with the American minimalists, for whom expression, feelings and references to the past were to be banished, came from there. It took place at the very beginning of the 1980s. He proclaims it that it is a "geometry of saturation" which interests him. To make a colour say everything, to solicit in the one who contemplates the painting an infinite power of evocations because precisely we are in the abstraction, that there is no represented subject. Sean Scully is a multiple artist, painter, sculptor, scholar, teacher, essayist with a perfectly established theoretical reflection. His works are present in major museums around the world. He is also a passer-by. He leads a tireless work, essential on the old masters, and has outlined another history of art - by the materiality of the painting, the touch and the chromatic lineages.

In this magnificent exhibition in Paris, we will find the lights and tones of Cézanne's Sainte-Victoire, the palette of Velazquez's Innocent X, and some of Caspar David Friedrich's twilight blues. The sensuality of colour is the great subject of this exhibition - ductile, carnal, multiplied by the outcropping of sub-layers, by the gaps. We perceive Scully's patchwork of colours as an unlimited repertoire. "The colours dialogue with each other", says the painter. Like the late Titian who let his touch become evident, the physical pleasure of the gesture is obvious. Looking at the paintings presented at Thaddaeus Ropac to celebrate his representation by the gallery and his installation in Aix-en-Provence, we can comprehend how Sean Scully leaves room for the joy of painting, since, thanks to him, the reconciliation he called for between geometry and emotions has indeed taken place.

 

Exhibition «Sean Scully, entre ciel et terre», is on until 17 July at Thaddaeus Ropac Gallery. 7, rue Debelleyme, Paris 3e.

Atmospheric image Atmospheric image
Atmospheric image Atmospheric image
Atmospheric image Atmospheric image