The pictorial dialogue between Arnulf Rainer and Emilio Vedova in Venice Review by Philippe Dagen
Par Philippe Dagen
C’est, depuis un peu plus d’une décennie, l’un des rituels associés à la grande parade de la Biennale de Venise : des expositions se tiennent dans l’ancien atelier du peintre Emilio Vedova (1919-2006), devenu par sa volonté le siège d’une fondation à son nom, destinée à maintenir vivante son œuvre. (...) Elle en tire parti en proposant, lors de chaque Biennale, une manifestation en hommage à son fondateur. En 2019, celle-ci avait été composée par Georg Baselitz, collectionneur et ami du peintre vénitien. Cette année, c’est un autre ami : l’artiste autrichien Arnulf Rainer, né en 1929, que Vedova avait rencontré dans les années 1980.
Ce qu’ils ont en commun saute aux yeux : la certitude que toute œuvre doit être l’inscription sur une surface ou dans l’espace des mouvements du corps et de l’esprit de son créateur ; celle que cette inscription doit atteindre au plus haut degré d’intensité afin de subjuguer et, pour y parvenir, tout oser. Et cette autre conviction : l’artiste doit se saisir des sujets les plus tragiques, qui sont aussi ceux qui sont communs à tous les êtres humains, le temps, la souffrance, la mort. (...)
Les séries des Plurimo et des Confine, engagées à partir de 1962, conjuguent donc la construction de volumes faits de planches et de poutres récupérées et assemblées à la peinture (...) Ces sortes de sculptures polychromes envahissent l’espace et exigent que l’on tourne autour, au lieu de rester paisiblement face au tableau. (...)
Jusque dans sa dernière décennie, Vedova est revenu de temps en temps à ces constructions, la plus considérable, qui date de 1993, portant un titre lourd d’histoire : Chi brucia un libro brucia un uomo (« qui brûle un livre brûle un homme »). Une sphère composée de demi-cercles de bois articulés s’ouvre comme les pages d’un livre, déjà noirci par le feu. (...)
On y pense (...) devant ce que Vedova appelait ses « études pour un espace » : ce sont, si l’on peut dire, des maquettes de ruines. Dans l’une d’elles est suspendu un crucifix : soit la réapparition des destructions que Vedova, qui combattit comme partisan à la fin de seconde guerre mondiale, a pu voir dans le nord de l’Italie, soit, plus probablement, le symbole plus général de toutes les guerres. Et encore le lien le plus visible avec les œuvres de Rainer, car son exposition réunit principalement des variations picturales sur le motif de la croix. (...) Sur les surfaces ainsi déterminées, Rainer fait tomber des pluies et des voiles de couleur. Selon leur degré de densité et l’ampleur de ses gestes, il parvient à un recouvrement opaque presque complet, ou, à l’inverse, fait naître un paysage mouvant de nuées, d’aurores et d’eaux. (...) Ces croix, dont la plupart datent des années 1990, sont accrochées à diverses hauteurs sur les deux longs murs de brique du Maggazino del sale. Se glissent entre ou au-dessus d’elles des tableaux ronds – des tondi – qui peuvent évoquer des planètes ou des mappemondes, éléments pour une cosmogonie imaginaire. La couleur, là encore, est alternativement fluide ou dense, marine ou céleste. Ces œuvres métamorphosent le lieu en sanctuaire.
« Rainer – Vedova. Ora ». Magazzino del sale, Zattere, Dorsoduro 266 et Spazio Vedova, Zattere, Dorsoduro 50, Venise. Jusqu’au 30 octobre, du mercredi au dimanche de 10 h 30 à 18 heures. Entrée de 4 € à 6 €.