'Georg Baselitz, the ultimate work at Ropac in Pantin' Exhibition review by Valérie Duponchelle

By Valérie Duponchelle

Georg Baselitz, at the age of 87, is back, ever more monumental, both more powerful and more fragile than ever. The cathedral-like space of the Galerie Ropac in Pantin is the perfect setting for this impressive collection of giant canvases in which the body dissolves in colour, sharp drawings in which the limits of life are increasingly arched and diffuse, and a sculpture carved from a single piece of wood before being cast in bronze, a soot-black sculpture like the 9-metre-high Zero Dom, which marked his entry into the Académie des Beaux-Arts in Paris in October 2021. The body - his own body, and that of his wife and muse Elke - has always been at the heart of his questioning as an artist, in seven decades of relentless practice, and today provides a magnificent testimony to what it is to be a painter. 'Ein Bein von Manet aus Paris' (“A leg of Manet in Paris”) presents the fruits of her labour, or toil one might say, over the past year. It is excessive and overwhelming, as if a painter's strength were a perpetual flow. (...)  (Translated) 

French Original:

Et Georg Baselitz, à 87 ans, est de retour, toujours plus monumental, à la fois plus puissant et plus fragile que jamais. L’espace cathédrale de la galerie Ropac à Pantin sied à cet ensemble impressionnant de toiles géantes où le corps se dissout dans la couleur, de dessins aigus où les limites de la vie sont de plus en plus arquées et diffuses, à cette sculpture taillée dans une seule pièce de bois avant d’être coulée dans le bronze, sculpture noir suie comme celle de 9 mètres de haut, Zero Dom, qui marqua son entrée à l’Académie des Beaux-Arts à Paris en octobre 2021. Le corps, son propre corps, celui de son épouse et muse Elke, sont depuis toujours au cœur de son questionnement d’artiste, en sept décennies de pratique acharnée, et délivrent aujourd’hui un témoignage magnifique de ce qu’est un peintre.

Ein Bein von Manet aus Paris (« Une jambe de Manet à Paris ») présente le fruit de son travail, de son labeur aurait-on envie de dire, au cours de l’année écoulée. C’est démesuré et bouleversant comme si la force d’un peintre était un flot perpétuel. Les corps inversés et scintillants, qui descendent vers une nuit profonde, sont depuis plusieurs années et depuis son exposition clef «Descente» en 2017 chez Ropac à Pantin, le témoignage que le géant de la peinture allemande laisse à notre monde défait. Jusqu’au 25 août, l’exposition Corps et Âmes de la Bourse de Commerce présente les 8 autoportraits de presque 4 mètres de haut de sa série Avignon qui firent sensation à la Biennale de Venise 2015. Représentant le corps vieillissant mais encore vigoureux du grand peintre sur fond noir, ils sont suspendus au-dessus du sol et créent ainsi un tabernacle où résonne la musique d’avant-garde du compositeur roumain György Ligeti (1923-2006).

(...) Travaillant à même le sol, il emploie son déambulateur pour naviguer sur les toiles (Warum nicht zwei, 2025, toile sur fond émeraude de 460 x 300 cm), transformant l’enchevêtrement de lignes tracées par ses roues dans la peinture en un élément central de la composition. Ce pourrait être dérisoire ou tragique. C’est au contraire expérimental et vif. Par cette technique nouvelle, Baselitz réinvente le portrait et en rafraîchit les sujets si familiers – lui-même et sa femme – par sa «manière contre-intuitive, de détourner l’attention du sujet et de l’orienter vers l’acte de peindre en soi» (Georg Baselitz, Traumflug sex, 2025, huile sur toile. 300 × 450 cm). Les corps, plus émaciés, moins nets dans la géographie de leur peau, sont entremêlés à jamais par ces tracés qui font autant de lianes ou de références au cordon ombilical.

Distance vis-à-vis de soi, traité comme un sujet, et extrême proximité avec l’état d’âme qu’il incarne, brutalité des faits - la nudité, puis la vieillesse — et sensibilité à fleur de peau ont donné à l’œuvre de Baselitz un caractère à la fois poétique et universel. Depuis les premiers autoportraits de l’artiste au tournant des années 1960, le représentant jeune homme, triste et insolent, dans le contexte mouvementé de l’Allemagne d’après-guerre, jusqu’à la première représentation de sa femme d’après une photographie de 1969 et son premier double portrait de lui-même et d’Elke en 1975, Baselitz n’a cessé de se regarder dans ce miroir de la peinture. La vie devant soi, comme le comprennent artistes et écrivains; Cette fois, le couple est très présent dans ces tableaux hors d’échelle. Et l’âge est cet acide corrosif qui dissout les différences : il faut regarder de près pour savoir qui est Elke, qui est Georg dans cette longue forme diaphane menacée de disparaître. (...) 

Le couple constitue des figures spectrales blafardes. Tantôt sur des fonds gris-noir, « telle cette non-couleur du Fifre de Manet, qui abolit la profondeur et donne au blanc qui définit le motif de Baselitz l’aspect fantomatique de corps ectoplasmes », analyse Bernard Blistène, ancien directeur du Musée national d’art moderne (2013-2021) et commissaire de la rétrospective «Baselitz» à l’hiver 2021-2022 au Centre Pompidou. Ou tantôt sur des fonds bleu céleste, vert émeraude, comme des pierres précieuses ou des vitraux de cathédrale. Au début des années 1990, les traces de ses pas et les contours de pots de peinture qu’il avait placés sur la toile pendant qu’il travaillait, ont fait intégralement partie des surfaces de ses peintures. Dans cette nouvelle série virtuose, outre les nuages de plus en plus denses de ses empreintes autour des figures, vestiges de l’artiste qui se déplace à petits pas précis tout autour, apparaît le déambulateur qui laboure de ses roues la peinture encore fraîche. Les empreintes linéaires deviennent des rides ou des cicatrices qui détruisent parfois les figures. Elles tissent pourtant un filet qui contiendrait l’humanité tout entière. (...)