Image: Abstraction as seen by painter Sean Scully
Sean Scully, Portrait, 2022. © Philadelphia Museum of Art. Photo by Joseph Hu.
Featured in La Gazette Drouot

Abstraction as seen by painter Sean Scully Profile and studio visit by Virginie Chuimer-Layen

12 September 2023
Paris Pantin

Dans son atelier d’Aix-en-Provence, l’Irlando-Américain continue d’explorer les méandres d’une abstraction, sa signature depuis plus de cinquante ans. À Pantin, son exposition chez Ropac illustre une peinture d’émotions, bien au-delà des apparences, pétrie de références.

Depuis 2021, le peintre et sculpteur, qui possède aussi des ateliers à New York, Londres et Mooseurach en Bavière, a posé ses valises dans une élégante bâtisse nichée au cœur d’un parc de dix hectares, à quelques encablures du centre-ville d’Aix-en-Provence. Dans cet écrin au milieu des pins, des cyprès et d’une oliveraie comptant plus de mille arbres, le fringant septuagénaire, né à Dublin mais nationalisé américain, a installé son studio provençal au second et dernier étage d’une maison de maître. Là, dans l’une des trois pièces domestiques, ornée d’une cheminée, de petits tableaux achevés et des supports en cuivre ou aluminium prêts à l’emploi sont accrochés aux murs. Quelques éclaboussures de couleurs et, sur une table, des seaux remplis de brosses et de spatules chargées de matière attestent du passage récent du plasticien. Allongé sur un sofa, l’homme, au physique endurant et combattif, se dévoile : « Avant de devenir peintre, j’ai tout fait. À l’origine, ma vie était plutôt difficile. J’ai travaillé dans une imprimerie, sur des chantiers, dans des usines... Et puis, je ne saurais dire pourquoi, j’ai étudié, entre autres, la philosophie, la littérature anglaise, l’histoire de l’art, de manière presque viscérale, en cours du soir en Angleterre. Cela m’a permis d’intégrer le Croydon College of Art, à Londres. À l’origine figurative, ma peinture s’est construite à partir de larges coups de brosse créant des lignes, des grilles où s’entrelacent diverses couches de couleurs. L’abstraction étant un genre noble mais trop éloigné du public, comme peut l’être un tableau de Mondrian, je souhaitais le déboulonner de son temple minimaliste, en le rapprochant des gens, sans jamais abandonner son élévation spirituelle. » « Humaniser l’abstraction », telle est donc la « mission » de l’artiste, dans une nécessité de peindre et de faire « à tout prix ». 

Le geste, la pensée, la nature
Si les œuvres de « Landline Weave », sa nouvelle exposition à Pantin, ne le laissent pas forcément présager, toutes découlent d’une gestuelle assez rude. (...) Vif, son geste est aux antipodes de sa réflexion très posée. Pour sa nouvelle série « Net », reprenant la trame d’œuvres plus anciennes, ce bâtisseur a élaboré une grille et placé dans celle-ci un tableau d’une autre typologie (Net Red, 2023). En effet, si Scully semble obsédé par la récurrence de la structure et la permanence de l’art, il réenvisage souvent son « abstraction émotionnelle », en assemblant divers « systèmes » dans un même tableau. En témoigne California Deep, réunissant dans une harmonieuse combinaison de bleus, rouges et autres tons ceux des « Landline » et des « Wall of Light ». Nourris par ses voyages, ses travaux prennent étrangement racine dans le monde réel. « J’ai toujours voulu ramener les paysages dans l’abstraction, comme les sentiments, les histoires et les métaphores, ajoute-t-il. Loin d’être éloignée de la nature, la grille de mes tableaux est un marqueur de territoires et de cultures. Elle apparaît dans les filets des pêcheurs, et les Amérindiens l’ont insérée dans leurs attrape-rêves. En fait, tout a débuté vers 1969, lorsque j’ai découvert au Maroc de splendides tapis et des djellabas à rayures verticales.

L’affiliation aux maîtres européens 
(...) Sean Scully est de ceux dont les œuvres oscillent entre passé et présent. Tirant les leçons de l’histoire de l’art et des couleurs, leurs formes essentielles mais imparfaites, leurs effets de lumière – accentués par la matière du support – et leurs trames textiles délestent l’abstraction de ses oripeaux minimalistes, ordonnés et froids. Actuellement célébré à Houghton Hall, résidence du Premier ministre britannique, il l’est aussi à la Collection Lambert à Avignon avec quatre toiles, dont le triptyque Arles Nacht Vincent (2015), qu’il vient de léguer au Centre national des arts plastiques. Souhaitant désormais vivre entre New York et la France, Sean Scully n’en finit pas de revoir l’abstraction. À l’aune des plus grands et de cette énergie qui, inlassablement, l’anime.

 
 
Translation: 
 

At his studio in Aix-en-Provence, the Irish-American continues to explore the meanders of abstraction that have been his signature for over fifty years. In Pantin, his exhibition at Ropac illustrates a painting of emotions, far beyond appearances, steeped in references. 

Since 2021, the painter and sculptor, who also has studios in New York, London and Mooseurach in Bavaria, has been based in an elegant mansion nestled in the heart of a ten-hectare park, just a stone's throw from the centre of Aix-en-Provence. In this beautiful setting surrounded by pines, cypresses and an olive grove with over a thousand trees, the dashing septuagenarian, born in Dublin and naturalised American, has set up his Provençal studio on the second and top floor of a mansion. There, in one of the three domestic rooms, adorned with a fireplace, small completed paintings and ready-to-use copper or aluminium supports hang on the walls. A few splashes of colour and, on a table, buckets filled with brushes and spatulas laden with material attest to the artist's recent passage. Lying on the sofa, the man with an enduring and combative physique unveils himself: "Before becoming a painter, I did everything. Initially, my life was rather difficult. I worked in a print shop, on building sites, in factories… And then, for some reason, I studied philosophy, English literature and art history, almost viscerally, in evening classes in England. This enabled me to enrol at the Croydon College of Art in London. Originally figurative, my paintings were built up from broad brushstrokes creating lines and grids in which various layers of colour intertwine. Abstraction being a noble genre, but too far removed from the public, as a Mondrian painting might be, I wanted to unseat it from its minimalist temple, by bringing it closer to people, without ever abandoning its spiritual elevation". To "humanise abstraction" is the artist's "mission", in a need to paint and to do "at all costs".

Gesture, thought, nature
Although the works in "Landline Weave", his new exhibition in Pantin, do not necessarily suggest it, they all stem from a rather rough gesture. (...) His lively gesture is the antithesis of his very calm reflection. For his new 'Net' series, based on earlier works, this builder has created a grid and placed a painting of a different type within it (Net Red, 2023). Indeed, while Scully seems obsessed with the recurrence of structure and the permanence of art, he often revisits his "emotional abstraction" by assembling various "systems" in a single painting. California Deep is a case in point, bringing together in a harmonious combination of blues, reds and other tones those of 'Landline' and 'Wall of Light'. Fuelled by his travels, his work is uncannily rooted in the real world. I've always wanted to bring landscapes back into the abstract, like feelings, stories and metaphors," he adds. Far from being distant from nature, the grid in my paintings is a marker of territories and cultures. It appears in fishermen's nets, and the Amerindians used it in their dream catchers. In fact, it all started around 1969, when I discovered some splendid carpets and djellabas with vertical stripes in Morocco.

Affiliation with European Masters
(...) Sean Scully is one of those artists whose works oscillate between past and present. Drawing lessons from art history and colour, their essential but imperfect forms, their effects of light - accentuated by the material of the support - and their textile wefts strip abstraction of its minimalist, ordered and cold finery. Currently celebrated at Houghton Hall, the residence of the British Prime Minister, he is also at the Collection Lambert in Avignon with four paintings, including the triptych Arles Nacht Vincent (2015), which he has just donated to the Centre national des arts plastiques. Now wishing to live between New York and France, Sean Scully continues to revisit abstraction. On par with the greats and with the energy that tirelessly drives him.

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