Image: The secret kingdom of painter Georg Baselitz
Georg Baselitz in his studio. Photo: Christoph Schaller
Featured in Le Figaro

The secret kingdom of painter Georg Baselitz Studio visit by Valérie Duponchelle

27 April 2023
Kunsthistorisches Museum, Vienna
Baselitz chez Baselitz, c’est un privilège, car le géant de la peinture allemande ne se laisse pas apprivoiser. Même si l’âge semble avoir un peu érodé les arêtes aiguës de cet homme tout d’une pièce, qui est né Hans-Georg Kern le 23 janvier 1938, pendant la période nazie, à Deutschbaselitz en Saxe et qui a grandi dans ce qui est devenu, après-guerre, l’Allemagne de l’Est. [...] Une fois arrivé près de Munich à la porte de Baselitz, le visiteur est saisi par le décor, entre le château de Barbe-Bleue et un tableau paisible de la Bavière au bord d’un de ces lacs parfaits au bout desquels les Alpes enneigés marquent l’horizon. Ce n’est pas un studio, mais un domaine, un ensemble de bâtiments brutalistes construits par les architectes suisses Herzog & de Meuron au sein desquels l’atelier, énorme, fait paraître ses si grands formats presque normaux. [...]
 
[Le] peintre [est] mondialement connu sur ses années d’étudiant enragé, d’abord à Berlin-Est, puis à Berlin-Ouest à la fin des années 1950 ? "Berlin-Est, on peut carrément l’oublier, j’y ai vécu un an, j’étais étudiant, je n’avais pas d’atelier. À Berlin-Ouest, on avait un deux-pièces, l’une était ma pièce, et l’autre, celle de ma femme et de notre premier enfant. Dans cette unique pièce, j’ai fait tous ces tableaux, La Grande Nuit foutue, L’Homme nu, la série des Héros [ils ouvraient la rétrospective de Beaubourg à l’automne 2021, NDLR]. Je les peignais au mur. Et les Grands Amis sur le plafond, car il y avait très peu d’espace. Donc, l’espace ne joue aucun rôle. Ce qui joue un rôle, c’est la volonté. Un dicton allemand dit : ‘Là où il y a la volonté, il y a aussi la voie’." [...]
 
 "En 1961, lors de mon premier voyage à Paris avec ma femme, on habitait 29 rue Bonaparte dans l’arrière-cour, tout en haut, là où se trouvaient les chambres de bonnes. Il y avait entre 8 et 10 chambres, et dedans, des familles entières. Un seul WC pour tout le monde. Nous y avons vécu trois semaines. J’ai fait des dessins d’après la Pietà de Rosso Fiorentino, qui se trouve au Louvre. Puis des aquarelles d’après ces dessins." [...] Baselitz ne se voit pas comme un classique. "Non, j’ai toujours été un maniériste. Mes contemporains étaient les avant-gardistes. Et puis, il y avait le passé. Moi, je me trouvais dans l’entre-deux. Et en même temps, je les avais déjà dépassés, les avant-gardistes."
 
Le domaine de Baselitz, en Bavière, est un ensemble de bâtiments brutalistes construits par le cabinet d’architectes suisses Herzog & de Meuron. Photo: Christoph Schaller 
 
Son compatriote A. R. Penck (1939-2017) l’a représenté en géant au visage bleu et mis au centre de son tableau, Dinner at Brown’s Hotel, en 1984. "C’est un tableau que Penck a peint lors d’une exposition que j’avais à Londres. Il était communiste, et l’un de ses amis, proche de Picasso, lui avait dit: “ Il faut peindre les hommes en bleu et les femmes en rouge.” Dans le tableau, ma femme est rouge. Dans le tableau Image de rêve que Penck a peint en RDA, on nous voit entre amis. Je suis représenté en géant avec de longs cheveux, un très long pénis et un bâton de berger. Et Penck s’est représenté en nain. Il y a une référence au Garçon à la pipe, un Picasso de la période bleue, où le garçon se tient avec la main près de la bouche. Je suis peint comme un prophète.Une forme de respect, d’admiration ou de peur que Baselitz inspire parfois ? "C’est un rêve de Penck ! Dans les rêves, on trouve beaucoup de vérité. Moi, d’ailleurs, je peins mes tableaux en rêve avant de les peindre." [...]
 

Dans son exposition qui se tient jusqu’au 25 juin au Kunsthistorisches Museum de Vienne, ce peintre des gisants confronte 75 tableaux de nus à ceux des maîtres anciens. "Les études de base de l’artiste consistent à dessiner des nus. Si on regarde l’histoire de l’art dans son ensemble, l’homme nu est au centre. Si le gothique italien et la peinture religieuse sont le début, je dois dire qu’à toutes les époques, on a essayé de déshabiller l’homme. Celui sur la Croix par exemple. La femme était déjà représentée nue, avant la Crucifixion, sous le nom de Vénus. Chez la femme, il y a deux dénudations, chez l’homme, une seule. Ce qui était très important pour moi est que le Kunsthistorisches Museum de Vienne a été un musée exclusivement dédié à l’art de son temps. L’empereur Rodolphe, créateur de cette collection, a acheté ses contemporains, le Titien était jeune, le Tintoret était jeune. Ces artistes ont fait des portraits et des nus, toujours liés à des scènes et des actions. J’ai donc pensé : je vais faire le même sujet et j’ai accroché mes nus à côté des leurs. Et la différence est énorme."

Baselitz aime et critique durement les musées. Il aime aussi digresser sur l’histoire de l’art. "Le musée, c’est le lieu de la culture. Où on la montre et où on la démontre. [...] Je suis allé très souvent au Louvre, j’y ai cherché l’art allemand, pas facile. Dans un petit coin, j’y ai trouvé un Caspar David Friedrich, un seul. Il y a eu un grand Français qui s’appelait Napoléon et qui a importé en France de l’art de toute l’Europe, de l’Allemagne, de l’Italie. Malheureusement les pauvres Anglais n’en faisaient pas partie. Pendant un ou deux ans formidables, tous ces arts ont été réunis, dans le pavillon Vivant Denon, son directeur. C’était une idée merveilleuse Quand cette époque s’est terminée, les empereurs, les rois, les ministres, les diplomates sont venus et ont repris leur art. Il y a eu des salles vides, de jeunes peintres français ont fait de très grands formats. Et, au bout de cinq ans, le musée était de nouveau rempli. Un vol d’art suivi d’une renaissance de l’art."
 

Georg Baselitz, dans son atelier. Photo: Christoph Schaller

 

Baselitz s’est insurgé dans la presse contre la Pinakothek der Moderne qui a raccroché Die vier Elemente d’Adolf Ziegler, 1937, un, des tableaux les plus célèbres de l’"art nazi" "En RDA où j’ai grandi, où j’ai commencé à faire de l’art, on avait cette idée que la voix du peuple était importante pour juger des œuvres d’art. L’artiste devait créer pour le peuple. C’était ainsi en Union soviétique et sous le IIIe Reich", analyse-t-il. "Et c’était pire sous le IIIe Reich, car il fallait faire de la place dans les musées pour un art nouveau. Les peintres et les historiens de l’art ont alors découvert qu’il y avait de l’“art dégénéré” qu’il fallait retirer des musées. Ils ont déclaré “dégénéré” cet art produit par des malades mentaux ou pire encore. En Allemagne, cela allait main dans la main avec l’avis populaire. De sorte que les choses les plus précieuses des musées allemands ont été détruites, brûlées ou vendues aux enchères à Lucerne. Parmi elles, se trouvaient des œuvres françaises ou faites en France, Gauguin, Picasso, un Autoportrait de Van Gogh, le plus précieux de tous.
 
Le tableau d’Adolf Ziegler, un mauvais tableau ou un tableau sans morale ? "Tous les tableaux qui ont été faits pour plaire aux nazis sont de mauvais tableaux. Parce que c’est de la propagande pour un système. Peu importe le contenu même du tableau. Ce qui n’est pas indifférent, c’est la construction formelle. Ziegler a été le chef de bande officiel de malfaiteurs pour ce nettoyage des musées allemands. Et ce tableau se trouvait à la chancellerie de Hitler à Munich au-dessus de la cheminée. Quand la ville a été occupée par les Américains, tous ces tableaux nazis ont été retirés des bâtiments officiels par l’occupant et mis dans des entrepôts, car ils ne valaient rien. Jusqu’à aujourd’hui, cet état de fait a été respecté par les historiens de l’art. Et maintenant, il y a des historiens d’art qui n’acceptent pas cet état de fait et pensent qu’il faut montrer ces tableaux à nouveau au peuple. Pour que le peuple puisse lui-même se refaire une opinion. Donc on reproduit exactement la même chose qu’en 1933. Le peuple est de nouveau juge de ce qui est bien et de ce qui est mal, ce qu’est le bon art et ce qu’est le mauvais.
 

Dans son œuvre peint, sa femme, Elke, est très souvent représentée, à tous les âges, jeune, moins jeune, à l’endroit, à l’envers, blanche ou noire. "Il n’y a pas de meilleure place que la sienne, c’est le vis-à-vis privilégié. Ma place est beaucoup moins bonne dans la vie d’un peintre. Un peintre ouvre les yeux, il voit quelque chose. Il doit décider s’il le peint ou pas. Et, si c’est une belle femme, il n’y a pas de doute, il commence à peindre. C’est ainsi que je l’ai fait. Ma femme était un sujet imbattable. Ce n’était pas Cézanne et les pommes", dit-il en riant, après une pause schnaps. Le fait de vieillir change-t-il son regard sur sa peinture, sa façon de peindre ? "Vieillir, c’est une chose physique avec des effets sur l’état psychique. Physiquement on vieillit et l’esprit rajeunit. C’est un état assez étrange qu’il faut documenter. Un peintre fait toujours des documents sur son état. Quand j’ai commencé, j’étais un jeune peintre extrêmement agressif avec une forte volonté et une très forte conscience de ce que je devais faire. J’étais extrêmement intolérant, je n’ai rien accepté d’autre. Quand j’ai vu un tableau de De Kooning que j’ai trouvé absolument magnifique, je ne pouvais pas le dire et je ne pouvais pas le peindre. Cette façon de me limiter, de me créer moi-même des obstacles, je l’ai dépassée. Ces dix dernières années, je cite tout ce que j’aime. J’ai fait des tableaux dans le style de Lichtenstein, de De Kooning, de Munch… " Ces derniers gisants exposés chez son galeriste Thaddaeus Ropac à Pantin, jadis noir et gris, sont cette fois aussi roses sur un fond bleu. Des couleurs très fraîches et surprenantes pour un peintre de son âge.

Atmospheric image Atmospheric image
Atmospheric image Atmospheric image
Atmospheric image Atmospheric image