“Je suis trop désespéré pour être satisfait de mon travail” Anselm Kiefer talks about his exhibition "Pour Paul Celan" at the Grand Palais Ephémère
By Fabrice Gaignault
(...) Comment s'est opérée chez vous la découverte de Paul Celan?
Cela remonte à une soixantaine d'années, au lycée. On apprenait ses poèmes les plus accessibles, comme Todesfuge. Plus tard, dans les années quatre-vingt, je me suis mis à lire ses poèmes des derniers temps qui étaient très difficiles d'accès. On ne peut pas en saisir le sens, tant ils sont abstraits et fragmentaires comme chez Mallarmé dans ses poèmes ultimes. A la différence que chez Mallarmé, c'est la musicalité qui prime. Dans les poèmes de Celan, il est impossible de comprendre certaines métaphores. Il y a derrière chaque mot, l'incarnation de son traumatisme, de sa douleur, et pour cette raison, le poète détruit les mots, la langue, jusqu'à arriver à un point aveugle. Ce qui lui est arrivé est inexprimable, c'est trop violent. Voilà, c'est trop. Alors, il casse la langue et c'est ce processus qui est le plus intéressant chez lui.
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L'exposition au Grand Palais éphémère est-elle venue de votre désir personnel de montrer la relation si particulière que vous entretenez avec le poète (Paul Celan) ?
Je travaille depuis longtemps sur ses textes. Alors, bien sûr, c'est clair, arrive un moment où j'ai envie de montrer ces œuvres. On m'a proposé de les exposer au Grand Palais éphémère, ce que j'ai accepté avec plaisir. J'ai fait le choix d'exposer de très grands tableaux réalisés parfois depuis des décennies, qui iront bien avec l'espace du lieu, ses volumes. Ce qui est intéressant à savoir, c'est que ce sont des peintures nées d'un dispositif en mouvement. J'en ai repris certains, en les agrandissant ou en coupant d'autres. Mais ce n'est pas une attitude nouvelle. J'ai toujours agi ainsi. Un tableau chez moi n'est jamais une chose finie. Ce n'est pas non plus l'histoire du «Chef-d'œuvre inconnu». (rire)
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Francis Bacon disait «on peint sur des images déjà là». Je trouve que ça vous correspond bien.
C'est un fait, j'aime peindre au-dessus de mes anciens tableaux parce que ce processus provoque quelque chose de très fort en moi. D'une certaine manière, je détruis des tableaux.Je pense sérieusement que l'iconoclaste est le seul véritable artiste. La destruction est toujours positive, car, elle est le commencement d'autre chose. Je ne cesse de détruire mes tableaux,je les laisse parfois longtemps au-dehors, dans le vent, dans la neige, dans le gel ou la pluie. Je brûle souvent mes tableaux. (...)