L’exposition parisienne de l’artiste allemand, âgé de 67 ans, dévoile son extraordinaire ambition.
Malgré le temps qui les sépare, malgré leurs formes dissemblables et les intentions différentes de chacun des artistes, il existe entre l’art de l’Allemand Wolfgang Laib et celui de Giorgio Morandi (et, on le verra dans une prochaine chronique, celui d’Eugène Leroy) quelque chose d’essentiel qui les unit : les deux réclament de la part du spectateur un regard identique. Les deux exigent de la patience. Il faut les observer longtemps, s’en imprégner, oublier peut-être les strates culturelles qui se sont accumulées dans nos mémoires et viennent parfois placer entre eux et nous un écran de savoir dommageable à l’émergence de notre sensibilité — une culture asphyxiante, disait Jean Dubuffet.
Alors naît l’émerveillement, sentiment plus riche, plus profond que celui, spontané, produit par le spectaculaire. Ainsi, à une quarantaine de kilomètres de Sienne et de sa cathédrale spectaculaire surchargée de décorations, près de Montalcino, se trouve l’une des plus belles églises romanes du monde, l’abbaye de Sant’Antimo, située au creux d’un vallon planté d’oliviers et de cyprès. Construite par les Français au xiie siècle selon le style cistercien bourguignon, de taille modeste, elle obéit aux règles fixées par Bernard de Clairvaux (1090-1153). Dessinant une croix latine simple et sobre afin que rien ne vienne troubler la spiritualité, elle est la représentation de l’intériorisation du sentiment religieux qui, selon l’historien Georges Duby, apparaît en ce siècle.
Or, entrer aujourd’hui dans l’abbaye produit toujours le même effet, les mêmes sensations, la même envie de silence et de recueillement, que l’on soit ou non croyant. Une lumière sublime, changeante avec le temps, l’heure et les saisons — en ce mois d’août légèrement bleutée —, passant par la haute fenêtre à meneau creusée dans l’abside, tombe sur le sanctuaire où, surplombant le maître-autel, se dresse un magnifique christ en croix du xiiie siècle. Pour parler à Dieu, les architectes romans sculptaient la lumière et le son.
Le sentiment du sacré ne s’explique pas. Il naît des proportions et de la lumière d’une architecture comme d’une simple représentation sur une toile de bouteilles et de boîtes (Morandi) ou de la disposition sur le sol de sculptures ovoïdes noires (Laib). Mais il faut lui laisser le temps d’apparaître en observant longtemps la lumière chutant de la fenêtre à meneau, ou la petite toile en grisaille, ou ces pierres taillées inspirées par les œufs de Brahma de la religion hindouiste. Wolfgang Laib le sait. Autour de ses sculptures sont disposés sur les murs vingt-huit tableaux blancs. De loin ce sont des monochromes ; de près se révèlent des dessins au pastel blanc représentant des montagnes et le cycle de la lune. Mais avec le temps, le regard s’habituant, les dessins se grisent légèrement et, même de loin, se distinguent sur la toile. Voici donc précisé l’enseignement : pour être émerveillé, notre regard sur l’art réclame une patiente initiation.
Longtemps Laib, aujourd’hui âgé de 67 ans, posa sur le sol (et pose encore) des carrés de pollen d’un jaune éblouissant qu’il récoltait lui-même au printemps. Or le carré, disait Bernard de Clairvaux, est la forme permettant de passer du sensuel au spirituel. Ainsi s’énonce, une fois l’initiation achevée, l’extraordinaire ambition de l’artiste allemand : concevoir des formes épurées et universelles pour nous permettre d’intérioriser le sentiment artistique. Face à ces formes, beaucoup classent les œuvres dans l’art minimal ; les dire simples et sobres serait moins catégorique ; mystiques et sacrées serait plus juste.
The beginning of something else.
Jusqu’au 14 octobre 2017
Galerie Thaddaeus-Ropac, Paris 3e
tél. : 01 42 72 99 00.