Paris va découvrir cet artiste norvégien de New York qui a œuvré en collectif pour transformer la vie de Catherine Breillat en conte de fées. Un choc bizarre et jubilatoire.
Drôle d'endroit pour une rencontre, entre le Club Mickey et le back-room new-yorkais. La grande salle blanche de la fort chic galerie Thaddaeus Ropac dans le Marais est envahie de créatures multicolores et chevelues, de princesses trop maquillées et de chiens trop câlins, de coussins turquoise tricotés par un géant et de petits monstres qui ressemblent à l'artiste. Justement, il est là. Carrure dissuasive et barbe courte de bûcheron, rides au couteau sur un front même pas cinquantenaire, Bjarne Melgaard le Norvégien est un personnage. Voilà plus de quinze ans qu'il navigue sur l'axe anglo-saxon de l'art, d'Art Cologne à Art Basel, de l'Armory Show à la Biennale de Venise. Il arrive à Paris couronné de références muséales, pas vraiment assagi.
Né en 1967 à Sydney, Bjarne Melgaard a grandi en Norvège, terre «sévère et piétiste», souligne l'Islandais Gunnar B. Kvaran, le directeur de l'Astrup Fearnley Museet d'Oslo, qui l'a exposé sans freins à la dernière Biennale de Lyon, au MAC Lyon (beaucoup de Lyonnais ont été horrifiés par ses installations SM). La contre-culture, dans ce beau royaume des neiges, est volontiers trash et dissonante, comme le heavy metal et son héros, le batteur danois Lars Ulrich, du groupe californien Metallica. Derrière la politesse et la retenue de règle en communauté, c'est un coup de poing direct à l'estomac que donnent les individus hâves, chauves et musculeux de Christopher Nielsen, le Robert Crumb viking exposé en roi de la BD au Henie Onstad Kunstsenter, l'équivalent norvégien de la fondation Louisiana près de Copenhague.
Un mariage sacrilège
Bjarne Melgaard, même installé avec son studio à New York, appartient à cette famille culturelle. Cette violence âpre de la vie, où l'homme est un animal en quête d'une âme, rappelle les danses macabres des linteaux des églises romanes de Scandinavie. Le Munch Museet, temple du grand peintre norvégien, le sait bien, qui a osé confronter Bjarne et Edvard sur les mêmes cimaises, quitte à superposer les œuvres… et à cacher Le Cri sous une photo glauque de Bjarne. Lars Toft-Eriksen, le commissaire de ce mariage sacrilège, n'y est pas allé par quatre chemins et a joué des cadavres exquis surréalistes jusqu'au bout du papier peint hyper-sexe (zoom risqué!) et des variations contemporaines sur le thème d'Eros et Thanatos. Mince, frétillant, il découvrait à Paris une version beaucoup plus soft et glamour d'un artiste toujours partagé entre enfer et innocence, beau et laid, enfance et vie bien trop adulte.
Le tout nouvel ambassadeur de Norvège à Paris, S. E. Rolf Einar Fife, s'interrogeait dans un français parfait sur la réception de pareille bourrasque artistique dans notre sage capitale. Rolf et Venke Hoff, le couple de collectionneurs norvégiens qui a créé la KaviarFactory, dédiée à l'art sur les îles Lofoten, étaient chez eux dans cet encombrement de cheveux de poupée, de paillettes, de dessins hard et de candeur inexplicable. La cinéaste Catherine Breillat, à qui Bjarne Melgaard rend ici hommage, ne connaissait pas l'artiste. Et reste, comme toujours, une femme à part.
Bjarne Melgaard à la Galerie Thaddaeus Ropac. 7, rue Debelleyme (IIIe). Tél.:01 42 72 99 00. Horaires: du mar. au sam., de 10 h à 19 h. Jusqu'au 14 mars. Cat.:Melgaard + Munch, catalogue de l'expo au Munch Museet d'Oslo, par Lars Toft-Eriksen, design graphique de Snohetta (édité en anglais par Hatje Cantz et le Munch Museet).